Comment as-tu vécu l’annonce de ta sélection pour tes 4ᵉ Championnats du monde à Tokyo ?
J'étais heureuse, mais pas surprise, car après ma course aux championnats suisses où j'ai fini 2e, je savais que j'allais être de la partie à Tokyo.
En quoi l’idée de retourner au stade olympique de Tokyo (où tu as concouru aux JO 2020) t’inspire-t-elle personnellement ?
J'ai un très bon souvenir de ce stade où j'ai pour la première fois fini 9e dans un championnat de niveau mondial (aux portes de la finale) et je suis contente d'y retourner pour faire mieux encore !
Quelles leçons tires-tu de ton parcours lors de tes précédents mondiaux, notamment à Budapest 2023 et Eugene 2022 ?
Qu'il faut être aligné avec soi-même, sereine et calme dans toute circonstance (et surtout pendant la course).
Tu as établi un record suisse en salle à Glasgow 2024 (800 m en 2:00.06); en quoi cela a-t-il boosté ta confiance en vue de Tokyo ?
A vrai dire je n'ai jamais eu en tête cette année mon ancien record suisse en salle de 2024. Il est trop loin dans le passé par rapport à Tokyo (et à Glasgow je pensais plutôt aux JO de Paris qu'aux CM de Tokyo). Par contre, le fait d'avoir battu mon vieux record (qui datait de 5 ans) sur 800 m en 1'58''29 lors des CS de 2025 m'a vraiment boostée.
Après avoir étudié à l’EPFL en génie mécanique, comment concilies-tu as-tu concilié haut niveau sportif et formation académique ?
Ce n'était pas facile du tout. J'ai dû apprendre à m'organiser et définir mes priorités. En commençant l'EPFL, je n'avais pas un niveau exceptionnel (je venais juste de gagner les championnats suisses sur 400 et 800 m sans avoir le niveau d'aller aux CE juniors), j'ai alors fait mon Bachelor en 3 ans comme les autres étudiants. J'ai aussi vite compris que je ne pouvais pas faire l'un sans l'autre : il m'était impossible de travailler mes cours à la maison juste à la fin des cours, il me fallait une grosse coupure (=l'entraînement), et j'étais contente d'avoir quelque chose sur lequel me focaliser lors de moments sportifs difficiles, lors d'une blessure par exemple.
J'ai eu la chance d'habiter sur le campus et à 15' à vélo du stade, je ne perdais alors pas de temps dans les déplacements. Durant mon Bachelor, je ne m'entraînais « que » six fois par semaine, une fois par jour, et c'était idéal pour moi d'aller m'entraîner juste après les cours, j'en avais besoin. J'étais plus efficace pour travailler après l'entraînement. Par contre, la charge de travail à l'EPFL augmentant, et mon niveau athlétique aussi, j'ai décidé de rallonger mon Master pour pouvoir m'entraîner plus sans sacrifier mes résultats scolaires. Mes journées étaient très strictes : je me levais à 7h, allais aux cours à 8h, rentrais vers 16-17h, allais à l'entraînement juste après, rentrais vers 19h30, mangeais, travaillais puis me couchais à 23h. Le weekend je finissais tout ce que je n'avais pas réussi durant la semaine. Cela fait que je ne sortais que très peu. Je dois dire que je me sentais pressée comme un citron durant 5 ans. C'était de belles années, mais je sentais que je n'aurais pas pu faire ça très longtemps.
À quel point ta double nationalité suisse et française a-t-elle influencé ton parcours athlétique jusqu’à ta naturalisation suisse en mai 2017 ?
En juniors, j'ai voulu aller me confronter aux filles en France car je trouvais que je courrais toujours un peu contre les mêmes en Suisse. Plusieurs Valaisans faisaient les interclubs pour le club de l'AS Aix-les-Bains (maintenant ESA – Entente Savoie Athlé), alors j'ai saisi cette opportunité pour faire des compétitions de l'autre côté du lac. Etant française, ce n'était pas un problème pour ce club de me prendre (ne comptant pas comme étrangère). J'ai vu que le niveau demandé par la France pour les grands championnats était bien trop élevé pour moi, et comme cela faisait plusieurs années que j'habitais en Suisse, j'ai décidé de demander la nationalité suisse afin de courir pour la Suisse.
Quel rôle ont joué tes clubs — ATHLE.ch (Suisse) et AS Aix-les-Bains (France) — ainsi que tes entraîneurs, dans ta progression sur 800 m ?
Mes clubs : tout d'abord le CA Sierre DSG, le club où j'ai commencé ce sport parce que j'avais l'impression que j'avais quelque chose à y faire et où j'ai découvert une vraie famille de l'athlétisme !
Puis AS Aix-les-Bains, qui m'a permis de voir d'autres horizons, de me confronter à d'autres et de progresser à ce niveau-là. J'ai aussi découvert là une grande famille de passionnés.
Enfin ATHLE.ch où je suis licenciée actuellement, c'est un club de performance, dans lequel je suis passé d'un bon niveau national à un niveau mondial. Forcément, le rôle du club ATHLE.ch est énorme, car grâce à mon entraîneur Michel Herren et au groupe, le but des entraînements étaient clairement orientés pour la performance, sans négliger pour autant le côté sympathique et humain. Grâce à eux j'ai non seulement progressé physiquement, mais ils continuent à m'aider à devenir une meilleure personne. Ils m'ont aussi appris que le plus important est de faire en sorte que ça joue. Pas un jeu superficiel, divertissant, stérile et vide, mais le jeu de toute cohérence et rigueur de la vie. A l'image du sérieux de l'enfant qui joue.
Mes entraîneurs ont forcément joué et continuent d'avoir un rôle très important ! Ceux sont des personnes qui comptent beaucoup pour moi.
Marc Zimmerlin mon premier entraîneur (au CA Sierre DSG) jusqu'à ce que je parte à Lausanne pour mes études, était là aussi souvent que possible lors des entraînements et des compétitions. Il était là un peu comme un 2ème père. C'était un des premiers à croire en moi. Il m'a accompagnée jusqu'au meilleur niveau suisse chez les U20 (avec à la fin un doublé 400-800 m aux CS U20). Avec lui j'ai été faire les interclubs en France et gagné mon titre U20 en France aussi. C'est lui qui m'a conseillé de rejoindre le groupe de Michel Herren à Lausanne, pour m'entraîner avec un groupe.
Michel m'a ensuite rapidement fait franchir des gros caps physiques, que je ne pensais pas moi-même possibles, voir même que je n'étais pas encore prête dans ma tête à avoir un tel niveau. Comme Marc, il s'est impliqué de plus en plus pour m'aider à progresser. Nous n'avons pas toujours vécu des moments faciles, certains même très difficiles, mais il a toujours été là pour m'aider, m'accompagner. Michel est un philosophe avant d'être un entraîneur, ce qui lui permet, grâce à sa philosophie « phusique », d'accompagner, de comprendre et de partager les mystérieuses forces qui travaillent au fond de la vie, au fond de chacun d'entre nous. C'est ce qui fait qu'il soit aussi un bon entraîneur : il voit le tout et non pas que mes jambes ! C'est quelqu'un sur qui je peux m'appuyer, tant sportivement qu'humainement.
Comment ressens-tu ta progression chronométrique, jusqu’à ton meilleur temps en 2025 ?
Au niveau des entraînements, je sens que j'ai progressé d'année en année, mais cela ne s'est pas vraiment montré en compétition. Même mon nouveau record en 1'58''29 ne montre pas encore vraiment ce dont je suis actuellement capable. J'ai surtout progressé en aérobie, en résistance, mais aussi en force et en vitesse.
Quels objectifs te fixes-tu personnellement pour ces Mondiaux à Tokyo ? Médaille, record personnel, ou autre ?
Lors d'un grand championnat, surtout en demi-fond où il y a des courses tactiques, je ne me fixe jamais un record personnel, s'il arrive tant mieux. Mon but très clair à Tokyo est de faire 3 courses (et donc une finale). J'ai échoué 3 fois aux portes d'une finale mondiale, je suis plus forte que jamais et je pense que c'est vraiment possible d'y arriver. En finale on a toutes le même objectif. En attendant il faut prendre une course après l'autre.
Tu es désormais une des figures fortes du demi-fond suisse (avec une présence régulière en finales européennes) ; quel message aimerais-tu transmettre aux jeunes athlètes qui te regardent ?
Que le sport, c'est l'école de la vie. Que c'est là où les choses s'expriment le plus, le plus fort. Le sport c'est dur, on ne gagne pas à chaque fois, on perd même plus souvent, mais c'est dans ces moments-là, quand on ne lâche rien, qu'on fait les choses de façon honnête (d'abord avec soi-même puis avec tout ce qui nous entoure), que l'on apprend à se connaître, à se renforcer, qu'on est préparé à vivre et que les belles choses arrivent.
Quel est ton rituel d’avant-course ou ta routine préférée pour te sentir dans les meilleures conditions le jour J ?
Je fais un bon échauffement, souvent assez similaire d'une fois à l'autre. Et surtout, je fais en sorte d'éviter des pensées négatives, tant celles qui nuisent à la confiance, que celles qui apportent de mauvaises vibes comme lorsqu'on se plaint que l'hôtel n'est pas terrible ou autre.