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Hommage à Jean-Pierre Egger

Il y a des rencontres qui marquent une vie. Jean-Pierre Egger fut de celles-là. J’ai eu la chance de le croiser à mes débuts comme lanceur de marteau, sur le stade de l’USY, lors des réunions des lanceurs romands. Très vite, au-delà du nom légendaire, c’est l’homme qui impressionnait : sa présence bienveillante, sa passion communicative, sa manière d’écouter autant que d’enseigner.

Jean-Pierre, c’était une voix, une posture, une énergie – mais surtout un cœur. Il aimait transmettre, il aimait comprendre, il aimait les gens. Peu importait que vous soyez débutant ou confirmé, homme ou femme, suisse ou venu de l’autre bout du monde : il vous accueillait avec la même chaleur et le même respect. Il fut un précurseur dans bien des domaines, mais peut-être surtout dans celui de l’inclusion, de l’intégration humaine et sportive.

Avec lui, chaque échange devenait une leçon, chaque mot avait du poids, chaque silence aussi. Il avait ce don rare de faire naître l’excellence chez les autres, non pas en la leur imposant, mais en la révélant, doucement, patiemment, par sa seule exigence d’authenticité.

Jean-Pierre, tu as formé, inspiré, élevé tant d’athlètes, tant d’humains. Que ce soit dans les stades, les salles de musculation, les conférences, ou simplement au détour d’un banc, tu as semé quelque chose d’inestimable : la foi dans l’autre, le goût de l’effort, et l’amour du métier bien fait.

Que les étoiles t’accueillent comme l’un des leurs. L’excellence brille, et brillera, au-dessus de toutes les personnes qui ont eu le bonheur de croiser ton chemin.

Merci Jean-Pierre.

 

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En 1964, un athlète aux mensurations exceptionnelles (2,03 m pour 103 kg) va faire progresser le record suisse du lancer du poids d'une manière ahurissante. Il s'agit d'Edy Hubacher (TV Länggasse) qui réussit sa première référence nationale avec 16,24 m. Six ans plus tard, il va placer le record suisse à 19,34 m ! Après avoir lancé le poids aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, il va ensuite briller aux Jeux Olympiques de Sapporo en 1972 en remportant avec son pilote Jean Wicki la médaille d'or en bob à quatre, ainsi que le bronze en bob à deux. C'est dans l'ombre de cette superstar qu'un lanceur Neuchâtelois de 23 ans nommé Jean-Pierre Egger (CA Neuchâtel) se signale en 1966 avec un jet à 14,43 m. Diplômé en éducation physique, il s'empare deux ans plus tard du record romand avec 14,93 m, le 21 septembre lors du Disque d'Or à Vidy. Sa progression est encore plus marquée en 1969, lors d'une saison qu'il débute de la meilleure manière le 3 mai à Fribourg en passant à plusieurs reprise son engin à plus de 15 mètres, pour finalement le projeter à 15,83 m ! Les nonante centimètres de gagnés par rapport à l'an dernier ne sont pas dû au hasard. En s'inspirant d'Edy Hubacher, le Neuchâtelois s'était astreint durant l'hiver à de grosses séances de musculation aux poids et haltères. Avec son imposant gabarit (1,92 m pour 103 kg), il a vraiment de quoi se rapprocher de son illustre aîné. À la base, il faut dire que Jean-Pierre Egger voulait être décathlonien. Mais le manque d'infrastructure dans sa ville de Neuchâtel ne lui a pas permis de réaliser ce vœu. En prenant dans ses mains un poids ou un disque, il s'est mis en tête qu'il pourrait peut-être un jour participer aux Jeux Olympiques. Il avoue préférer le lancer du disque, mais c'est au poids qu'il réalise les meilleurs résultats. En cette fin de décennie, il pointe au septième rang du bilan helvétique all-time.

 

Une parenthèse du côté de Berne

Pour progresser dans la hiérarchie, il sait qu'il doit travailler fort pour améliorer sa force, sa condition physique et surtout sa technique. C'est la raison pour laquelle il change de club en 1970 pour se rendre auprès d'Edy Hubacher au TV Länggasse. Cette décision lui permet de lancer à 16,31 m à Macolin et de remporter la médaille d'argent aux championnats suisses à Berne. En 1971, les plus grandes forces se trouvent désormais du côté de la GG Bern avec le Hongrois Istvan Toth (17,84 m) et Hugo Rothenbühler (16,04 m). Egger les rejoint et l'émulation de groupe lui permet de battre Edy Hubacher aux championnats suisses à Bâle avec un nouveau record romand placé à 16,78 m. Il franchit un gros cap le 22 août à Zoug en dépassant pour la première fois la ligne des 17 mètres avec 17,09 m.

En 1972, Jean-Pierre représente la Suisse face à l'Espagne à Barcelone avec 16,99 m. Le 24 juin au Disque d'Or à Vidy, il gagne un petit centimètre, puis il pulvérise le record romand lors du match Suisse-France-Eire à Bâle avec un superbe 17,49 m. Après un joli 17,15 m à Aarau lors des CSI, Egger affronte une nouvelle fois Hubacher le 30 juillet lors des championnats suisses à Genève. Le duel est remarquable avec une victoire du Bernois à 18,40 m, alors que le Neuchâtelois améliore encore une fois le record romand avec 17,71 m. La compétition suivante se déroule à Zurich à l'occasion du match de prestige que la Suisse dispute face à l'Allemagne. Parmi les colosses de ce concours, Jean-Pierre Egger peut paraître bien fluet. Il termine cinquième, mais au-delà du classement anecdotique, c'est sa performance qui est primordiale : 18,04 m ! Une année après avoir dompté la ligne des 17 mètres, voilà que celle des 18 mètres est déjà brillamment atteinte; c'est assez impressionnant.

 

Retour au Neuchâtel-Sports

Jean-Pierre Egger quitte la GG Bern en 1973 pour se retrouver chez lui, au Neuchâtel-Sports. Il a bien travaillé durant l'hiver et cela se matérialise le 5 mai déjà à Yverdon avec un jet à 18,15 m. Un mois plus tard lors des championnats internationaux militaires à Florence, Egger remporte la médaille d'argent avec 18,24 m, une fois de plus un record romand. Le 30 juin, il se rend à Lisbonne avec l'équipe suisse pour le tour préliminaire de la Coupe d'Europe. Jean-Pierre réalise une série incroyable avec 18,53 m d'entrée, puis 18,74 m, soit deux magnifiques records personnels, mais aussi deux derniers essais mesurés à 18,48 m et à 18,41 m. Persuadé qu'il aurait pu atteindre les dix-neuf mètres, il a fini par perdre le contrôle technique en pêchant par précipitation. Cette prestation montre à quel point sa marge est encore immense. On prend conscience que le boss du lancer du poids helvétique, c'est désormais lui lorsqu'il gagne aux championnats suisses à Zurich avec 18,60 m, tout en mettant un mètre trente-trois dans la vue d'Edy Hubacher. En fin de saison, le Neuchâtelois n'hésite pas à prendre part à de petites compétitions comme le Disque d'Or à Lausanne avec 17,83 m ou le Challenge DAVO à Yverdon avec 18,03 m.

La saison 1974 de Jean-Pierre Egger se déroule principalement en août et en septembre. Trois jets atterrissent plus loin que la ligne des dix-huit mètres : 18,05 m le 3 août à Berne, 18,03 m lors de sa victoire aux championnats suisses à Lugano et 18,52 m le 16 août lors de Weltklasse à Zurich. On peut noter que, pour la première fois dans sa carrière, Jean-Pierre Egger n'a pas réussi à faire mieux que la saison précédente; il est vrai cependant que sa fulgurante progression ne lui a pas facilité la tâche. Mais cette étrange lacune va être réparée en 1975, en cinq occasions lors des quinze concours qui le voient toujours passer les dix-huit mètres. Son début de saison qui passe par Küsnacht et La Chaux-de-Fonds avec 18,24 m et 18,50 m montre qu'il a retrouvé sa grinta. Elle lui permet de passer un nouveau palier dans sa carrière le 1er juin à Götzis avec son tout premier jet au-delà des 19 mètres : 19,03 m. Qui aurait pensé il y a cinq ans que le record romand puisse s'approcher des 19,34 m du record suisse d'Edy Hubacher ? À vrai dire personne ! Jean-Pierre enchaîne avec 18,45 m à Thoune et avec 18,24 m pour une deuxième place en Coupe d'Europe à Lisbonne. Après un mois de juillet consacré à une nouvelle préparation, le Neuchâtelois est prêt à vivre un superbe mois d'août. Il démarre avec 18,28 m à Zurich et quatre jours plus tard il lance un bon 18,52 m à Fribourg. La semaine suivante à Copenhague il se classe deuxième avec un superbe 18,96 m. À son retour, il réalise en neuf jours 18,90 m à Bâle, 18,37 m à Cortaillod et surtout un nouveau record romand à 19,25 m aux championnats suisses à Olten pour son quatrième titre national. En septembre il se rend encore à Varna où il est crédité d'un solide 18,86 m et il termine à Berne avec 18,36 m et à Fribourg avec 18,28 m.

 

Les Jeux Olympiques de Montréal dans le viseur

Le rêve olympique de Jean-Pierre Egger pourrait prendre une forme réelle en 1976. Sans qu'on en doute, le Neuchâtelois a super bien bossé durant l'hiver. La clé de cette saison est de tenter d'atteindre le plus rapidement possible les minimas pour les Jeux Olympiques de Montréal, qui sont fixés à 19,65 m. Comme souvent, les premières compétitions sont un bon indicateur de son niveau de forme. Ainsi ses 18,90 m à Zurich, ses 18,58 m à Lyon et ses 19,06 m à Crystal Palace sont même fort révélateurs. Il va se lâcher lors de ses quatre compétitions du mois de juin : 19,12 m à Zofingue, puis un nouveau record romand à 19,28 m le 13 juin à Fürth, un magnifique record suisse à 19,48 m le 19 juin à Südstadt et un autre 19,12 m le 25 juin à Aarau. Il ne lui manque plus que dix-sept centimètres pour voir Montréal. Le 10 juillet lors du meeting pré-olympique à Zurich, Jean-Pierre Egger étale sa classe avec un concours qui le voit réussir à quatre reprises une performance supérieure à son record personnel de 19,48 m ! Il débute avec 19,44 m, puis il frôle la limite olympique avec 19,63 m. Malgré ce nouveau record suisse, ce serait vraiment cruel de crever au poteau pour ces deux centimètres. Heureusement son troisième essai délivre toute frustration avec un magnifique jet à 19,71 m. La ligne magique des vingt mètres se rapproche de plus en plus ! Pour éviter tout doute, Jean-Pierre réalise ensuite au centimètre près la limite avec 19,65 m, un cinquième essai à 19,70 m et une ultime tentative mordue. Le public du Letzigrund lui réserve une ovation dont le Neuchâtelois se souviendra très longtemps.

Le rêve olympique est donc devenu une réalité pour Jean-Pierre Egger. Mais hélas treize jours plus tard à Montréal, il va tourner au cauchemar avec une brutale élimination en qualifications : 18,06 m - nul - 18,13 m. Une série de performance qui le rejette deux ans en arrière : «Ce n'est pas tellement l'élimination, avec tout ce qu'elle a d'affreux, qui m'attriste, que le résultat, minable, indigne de moi. Il y a treize jours, à Zurich, c'était la fête, une grosse ambiance avec une série de folie. Alors qu'aujour-d'hui, me revoilà renvoyé à mes études pour ne pas avoir passer le "cut" des 19,40 m ! Quel coup de massue. Je n'ai aucune excuse à invoquer. Je ne suis pas blessé, je me sens bien, je ne souffre de rien du tout. J'ai simplement échoué. Techniquement, je crois n'avoir pas fait de faute, mais j'étais incapable d'exploser». Jean-Pierre se prend la tête à chercher des explications, que ses collègues escrimeurs et gymnastes élucideront facilement : Le Neuchâtelois est arrivé au Canada moins de 48 heures avant son concours. «C'est de la folie !», ont-ils tous crié en cœur. «Nous, ils nous a fallu plus de trois jours pour récupérer des fatigues du voyage et absorber le décalage horaire...». Même si cela ne change pas grand-chose pour lui, cette expérience lui servira dans le futur, c'est certain. En attendant, il tente de se refaire une santé morale en gagnant son cinquième titre national à Zofingue avec 18,82 m, puis il se rend à Athènes où il lance à 18,77 m. Il termine sa saison à Granges et à La Chaux-de-Fonds avec 18,32 m et 18,36 m.

On ne saurait terminer cette saison 1976 sans évoquer le nouveau record du monde à 22,00 m réalisé par le Soviétique Aleksandr Baryshnikov le 10 juin à Paris. Adepte de la technique en rotation, est-ce qu'il aurait ouvert la voie à une nouvelle façon de lancer ? Pas sûr, tant la méthode est difficile à apprendre et surtout très risquée avec de nombreux essais qui peuvent être mordus. Pour Jean-Pierre Egger, il n'en est pas question, ni pour lui, ni pour les athlètes qu'il entraînera dans le futur.

 

Un objectif plus réaliste nommé Prague '78

Sans compétition majeure en 1977, Jean-Pierre Egger compte bien se rapprocher de la ligne des 20 mètres. Ses trois premières prestations du mois de mai sont excellentes avec 18,91 m à Cortaillod, 18,67 m à La Chaux-de-Fonds et surtout 19,40 m à Yverdon. Il peut se rendre à Budapest l'esprit conquérant, malgré quelques douleurs lancinantes au dos qui l'ont contraint à réduire l'intensité de ses entraînements. En recherchant avant tout le plaisir, Jean-Pierre gagne le concours avec un record suisse à 19,72 m, soit un centimètre de mieux que l'an dernier à Zurich. À son retour, il gagne à Macolin avec 18,93 m, puis il obtient un joli 19,28 m à Madrid, 18,84 m en Coupe d'Europe à Londres et 18,69 m à Zurich. Champion suisse pour la sixième fois le 13 août à Bâle avec 19,00 m, Jean-Pierre retrouve le 24 août son aire de lancer fétiche du Letzigrund pour y réussir un nouveau jet de bravoure : 19,75 m à son premier essai ! Les bras au ciel, Egger sautille d'allégresse en manifestant une joie légitime. Il est vrai que ce nouveau record national ne se situe plus qu'à vingt-cinq petits centimètres du terrible mur des vingt mètres. Quatre compétitions lui permettent de finir sa saison en beauté : 19,13 m à Lugano, 18,88 m à Saint-Imier, 19,30 m à Fribourg et 19,02 m à Vevey.

Bien que Jean-Pierre Egger s'entraîne depuis longtemps à Macolin, ce n'est qu'en 1978 qu'il prend part à sa toute première saison en salle. En fait il n'y a que deux compétitions : le 12 février à Macolin il place le record suisse indoor à 19,54 m et le 11 mars à Milan il prend la huitième place des championnats d'Europe en salle avec 19,04 m. En été, l'objectif principal doit se dérouler à Prague pour les championnats d'Europe; pour cela, la F.S.A. lui demande de réaliser 19,00 m. Hélas au printemps, il est victime d'une blessure à l'épaule qui retarde son entrée en compétition jusqu'aux championnats suisses le 12 août à Saint-Gall, où il remporte son titre # 7 avec 18,97 m. Quatre jours plus tard lors de Weltklasse à Zurich, il obtient au dernier moment les minimas européens avec 19,46 m. Sera-t-il suffisamment prêt pour Prague ? La réponse tombe le 31 août à l'occasion des qualifications qui débutent à dix heures du matin. Un premier jet à 18,67 m, un deuxième mordu et un troisième à 18,33 m, Egger est loin de la limite qui était fixée à 19,50 m pour entrer en finale car il termine 14e : «Naturellement, c'est toujours déprimant de venir à des championnats d'Europe et de ne pas pouvoir prendre part à la finale». Sa trop courte saison s'achève lors de trois meetings : à Olten avec 19,12 m, à Fribourg avec 19,42 m et à Schaan avec 18,67 m.

 

Franchir la ligne des 20 mètres

En 1979 dans la salle de la Fin-du-Monde à Macolin, Jean-Pierre Egger lance son poids à 19,39 m, puis il débute sa saison estivale du côté de Küsnacht avec 19,10 m, puis ses 19,61 m à Lucerne montrent que les petits pépins physiques qu'il avait eu l'an dernier sont définitivement oubliés. Le maître de sport de l'École Fédérale de Macolin va fêter en juillet prochain ses 36 ans. Depuis quelques temps il ne pense qu'à une seule compétition : le meeting d'inauguration du centre sportif du Mail le 9 juin à Neuchâtel, au cœur d'un parc verdoyant à souhait. Il est chez lui, décontracté et pratiquement sûr de pouvoir battre le record suisse qu'il détient avec 19,75 m et qu'il avait déjà amélioré à cinq reprises depuis 1976. À Neuch', tout le monde l'appelle "JP" et leurs encouragements transcendent l'homme le plus fort du pays. Après un premier essai mordu, le deuxième est envoyé avec une rare puissance et il frôle la ligne des 20 mètres. Le record suisse est battu à coup sûr, mais à combien ? Les juges s'empressent de mesurer ce jet à 19,90 m. C'est bien sûr fantastique, mais il manque évidemment dix centimètres pour que le nirvana soit réellement atteint. L'essai suivant est à nouveau mordu, puis le panneau d'affichage indique 19,10 m et 19,40 m. Il ne reste plus qu'une seule tentative pour Jean-Pierre Egger, qui a un peu trop forcé son mouvement pour être vraiment efficace. L'ambiance chaude, libre et détendue, celle qui fait souvent défaut dans les stades d'athlétisme helvétiques, est bien présente avant cet ultime essai. La star du jour rentre dans son cercle, souffle légèrement, se penche en avant, et boum... son poids vole dans les airs de Neuchâtel et vient s'écraser juste avant la poutre qui délimite en face le secteur de réception. On a bien failli voir un coup "à la Beamon", au-delà des limites habituelles. Là c'est sûr, le poids a dépassé la ligne des 20 mètres; il est annoncé par le speaker qui hurle : «20,25 m !» Sans se tromper, il s'agit à ce moment-là d'une des cinq plus grosses performances réalisée par un athlète suisse. Au soir du 9 juin, le coup d'œil aux différents bilans de la saison montre que la super performance de Jean-Pierre Egger vaut la 15e place européenne et la 21e mondiale. Comment faire maintenant pour assumer ce nouveau statut ? Ce n'est pas forcément évident. Les sorties suivantes de Jean-Pierre vont logiquement retomber d'un cran avec 18,76 m à Brême, mais tout de même avec 19,10 m lors de la demi-finale de Coupe d'Europe à Genève. Une pause est pourtant nécessaire afin de recharger les batteries en vue du meeting international de Lausanne. Sur les affiches de cette compétition, qui devient de plus en plus importante, on voit Markus Ryffel, Cornelia Bürki et Jean-Pierre Egger avec une bouteille de Rivella à la main. Ce meeting de Vidy du 19 juillet révèle la nouvelle popularité du Neuchâtelois auprès des 12'000 spectateurs et il les récompense avec un magnifique 19,60 m. Deux jours plus tard, il termine cinquième de la finale B de la Coupe d'Europe à Karlovac avec un petit 18,25 m. Les performances en dents de scie de Jean-Pierre sont étonnantes car il ne nous avait jamais habitué à de tels écarts depuis... Montréal. Son huitième titre national est conquis le 11 août à Zoug, puis vient le meeting Weltklasse où il reprend des couleurs avec 19,27 m devant l'un de ses publics préférés. Trois jours plus tard il se rend en Norvège à Ovre Ardal pour un ultime concours qu'il boucle avec un jet à 18,85 m. C'en est terminé de cette saison aussi incroyable que bizarre. Après une bonne période de régénération, Jean-Pierre va pouvoir se préparer pour les Jeux Olympiques à Moscou.

 

Un ultime challenge à Moscou

Pas de compétitions en salle en 1980 pour Jean-Pierre Egger, qui travaille d'arrache-pied sur sa force et sa technique. Il faut bien cela afin d'atteindre les 19,80 m exigés par la F.S.A. pour aller lancer dans la capitale Soviétique. Sa quête olympique débute le 24 mai à Neuchâtel, puis elle se poursuit le 7 juin à Fribourg avec 18,99 m, avant de prendre une bonne forme la semaine suivante à Winterthour pour le Westathletic avec un joli 19,55 m qui lui offre la victoire, tout comme le 21 juin à Thonon face à la France et à la Suède avec 19,32 m. Le 24 juin, le Comité Olympique Suisse dévoile sa sélection pour les Jeux de Moscou. Sans avoir atteint les 19,80 m, Jean-Pierre Egger en fait pourtant partie. Cette excellente nouvelle permet au Neuchâtelois de reprendre un cycle d'entraînement pour peaufiner sa forme en vue du concours olympique. À la mi-juillet, il se rend à deux reprises au Wankdorf à Berne pour d'ultimes tests. Le 12 lors d'un meeting national il réussit un très convaincant 19,72 m. Mieux, il lance le 19 juillet à 19,79 m. Tous les feux sont au vert pour Moscou.

Le 28 juillet, Jean-Pierre Egger a devant lui une occasion unique de briller dans la plus grande compétition planétaire, d'autant plus que les Américains et les Allemands de l'Ouest sont absents à cause du boycott de leur pays. La limite de qualification pour la finale est fixée à 19,60 m, ce qui devrait être possible au vu de ses dernières sorties. En réussissant 19,61 m dès son premier essai à 10:30 du matin, le Suisse réalise l'exploit de se qualifier pour la finale olympique : «Je ne m'en croyais pas capable. Cette performance a plus de valeur pour moi que mes vingt mètres de Neuchâtel. Jamais je n'ai lancé aussi loin le matin. J'ai surmonté les déceptions de Montréal et de Prague. Pour la première fois je n'ai pas abordé un concours avec un sentiment de trac, j'étais détendu. Je me réjouis de disputer cette finale qui aura lieu dans deux jours. D'ici là il ne faut pas perdre la motivation; je me stimulerai par un entraînement aux haltères». Le 30 juillet, c'est le jour du 37e anniversaire de Jean-Pierre Egger. Quel incroyable cadeau pour lui de pouvoir lancer lors d'une finale olympique ! Hélas il ne va pas être à la fête : 18,25 m au premier essai, guère mieux au deuxième avec 18,26 m et 18,90 m au troisième, les dés sont jetés. Mais il le prend avec humour : «Éliminé à Montréal, dernier de la finale ici, il faut que je fasse encore Los Angeles pour gagner ! Plus sérieusement, ces18,90 m, ce n'est bien sûr pas satisfaisant. J'aurais bien voulu me faire au moins l'Islandais à 19,07 m, mais je n'étais pas derrière mon poids aujourd'hui».

De retour de Moscou, Jean-Pierre réalise une sorte de tournée d'adieu, puisqu'il est acté qu'il va mettre un terme à sa carrière d'athlète à la fin de la saison. Le 9 août il lance à Yverdon lors de l'inauguration du nouveau revêtement en tartan à 18,42 m. Vient ensuite Weltklasse à Zurich avec 18,86 m et les championnats suisses à Lausanne pour un neuvième et ultime titre national avec 18,88 m. Il se rend encore du côté de Nova Gorica où il réussit 18,59 m. Sa fantastique carrière s'achève le 16 septembre à Tokyo pour un dernier jet à 18,53 m.

Dans la grande famille du lancer du poids helvétique, Jean-Pierre Egger a été le trait d'union entre le passé et le futur. Edy Hubacher, avec ses huit concours à plus de 19 mètres peut être considéré comme étant le "grand-père héroïque". Jean-Pierre Egger avec ses trente-trois concours à plus de 19 mètres représente le "père technologique". Il va prendre en main la destinée de Werner Günthör : avec un record suisse à 22,75 m, trois titres de champion du monde et nonante concours à plus de 21 m, le Thurgovien deviendra le "fils en or".

Neuf fois champion suisse du lancer du poids entre 1971 et 1980, Jean-Pierre Egger l'avait dit en 1969 : «Je préfère lancer le disque, mais c'est au poids que je réalise les meilleurs résultats». Dans cette discipline virevoltante, il va réussir quelques belles prouesses, mais qui resteront d'un niveau national. Champion suisse en 1976, 1979 et 1980, il a atteint son top le 18 mai 1977 à Fribourg avec un magnifique jet mesuré à 57,42 m, soit 64 centimètres de mieux que les 56,78 m d'Edy Hubacher, qui faisaient office de record suisse depuis 1970.

 

Un entraîneur à succès mondialement reconnu

Après sa carrière magnifique d'athlète, Jean-Pierre Egger peut se targuer d'avoir été un entraîneur hors pair, en volant de succès en succès. Il a d'abord amené Werner Günthör au sommet de la hiérarchie mondiale du lancer du poids entre 1986 et 1993. Il en fera de même pour la Néo-Zélandaise Valérie Adams avec un titre olympique conquis en 2012 à Londres. Mais Jean-Pierre ne va pas seulement s'occuper de lanceurs de poids. Il va aussi être responsable de la préparation physique d'une multitude de sportifs, aussi bien en football (Grasshoppers et l'Olympique de Marseille) et en basket (équipe de France, vice-championne olympique en 2000 à Sydney), qu'au saut à ski (Simon Ammann), en passant par la voile (Alinghi) ou la lutte suisse (Matthias Sempach). Cette diversité, dans des pays et des cultures différentes, font de lui le maître de l'excellence sportive. C'est d'ailleurs le titre de son livre sorti en avril 2022 : "The Way To Excellence", dans lequel il consigne en détail sa recette du succès. Auparavant, le 13 décembre 2020 lors des "Swiss Sport Awards, Jean-Pierre Egger a été désigné "Entraîneur suisse des 70 dernières années". Cette incroyable carrière sportive - assurément l'une des plus complètes de la riche histoire de l'athlétisme romand - a inspiré un nombre incalculable d'entraîneurs, que ce soit en Suisse ou à l'étranger. Un héritage précieux et immuable. Merci pour tout Jean-Pierre; R.I.P.

 

Pierre-André Bettex

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